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Pauline Marbot est danseuse et comédienne. Elle vient de participer à l’atelier orchestré par l’association Danse en Seine pendant 8 semaines. Elle nous raconte ici son premier atelier, dans la Maison d’Arrêt de Bois d’Arcy en juin 2017.

 

« Arrivés à la gare de Montparnasse à 7h du matin, Léonard, Lucie et moi attendons notre train pour Fontenay-Le-Fleury. Pendant le trajet, on se briefe, on revoit la liste des prénoms, on se repasse la choré et on apprend – entre deux secousses ! – les bouts d’improvisation que les détenus ont proposés au fil des ateliers précédents. Je finis mon thermos de café et ma banane sur les dix dernières minutes de marche, et nous voici devant les grilles de la Maison d’Arrêt de Bois d’Arcy.

Ah. Voilà. On y est.

On se dirige vers l’entrée visiteurs, où on glisse nos cartes d’identité sous une vitre sans teint. On adresse un bonjour « dans le vide », et une porte s’ouvre. Un agent nous accueille. On dépose toutes nos affaires dans un casier sous clef. Juste nos petites bouteilles d’eau et une serviette sont autorisées. Pas de téléphone, pas de soutiens gorges avec armature, pas d’électronique, pas de nourriture. En bref : rien ne peut entrer qui n’aurait été signalé au préalable. Et les conditions sont strictes.

Après avoir passé le portail électronique et que nos bouteilles d’eau aient défilé sur le tapis roulant, on sort du SAS pour arriver dans un entre-deux en extérieur, bordé de grillages, menant à un gros bloc de béton. Et là on se (re)dit : bon, ça y est, j’y suis. Ça existe. C’est réel.

En vérité, je n’ai jamais eu peur, je n’ai jamais appréhendé, je n’ai jamais eu la sensation de flipper à l’idée de mener cet atelier en prison. Mais oui, une fois dedans, ça impressionne. Ça intimide.

On nous munit de bippers à maintenir verticaux; la position horizontale renvoyant au fait qu’on soit à terre et déclenchant alors l’intervention de la sécurité.

Et puis, c’est parti pour la succession des portes en fer et des « clac-clac » qui résonnent. On passe devant plusieurs « tours » de contrôle circulaires en fer, à 360°, autour desquelles gravitent des escaliers en colimaçon et des couloirs qui partent dans toutes les directions. A chaque porte, un nouvel agent… Ou plutôt, une nouvelle agent, devrais-je dire ! Dans cette maison d’arrêt exclusivement masculine, j’ai été surprise de voir autant de femmes au contrôle ! On passe de portes en portes, de SAS en SAS, de bonjour en bonjour…

On entre dans les entrailles d’un escargot de fer.

 

Une douzaine de portes plus tard, nous voici dans la salle d’atelier : espace scène en parquet et escaliers en gradins, genre un peu gymnase de basket. Mais en plus petit ! On aménage l’espace, on passe un coup de balai et on fait défiler dans le lecteur CD les musiques que les détenus avaient proposées sur les précédents ateliers : y’a du Bruno Mars, du Calle 13… (CD bien sûr récupéré dans une enveloppe déposée dans notre casier. Encore une fois : rien ne rentre en prison !).

Puis du bruit se fait entendre à l’extérieur ; ils arrivent.

Un premier homme entre, survêt, dreadlocks et tatouage d’une feuille de cannabis sur la pommette droite. Il est grand, il a le sourire et il vient nous saluer spontanément en nous serrant la main. Il s’appelle – B –. Il s’exclame avec humour qu’il est encore et toujours le premier. La conversation s’engage immédiatement.

Puis arrive – Y –, un jeune homme de 26 ans, aussi souriant, qui nous dit d’entrée de jeu avoir déjà plein de courbatures parce qu’il a joué au foot hier. Je plaisante en lui disant qu’il aurait du s’étirer. Il me répond le plus naturellement possible que dans un 7m² blindé de monde, c’est pas ce qu’il y a de plus simple. Je ravale ma plaisanterie. Voilà, voilà.

Se succèdent : – V –, un sud américain d’une paradoxale douceur ; – P –, cheveux impeccablement plaqués en une queue de cheval basse ; – H – , chétif, pâle et crâne rasé ; – T –, discret et réservé et – D-, au regard vif et perçant.

La surveillante nous souhaite un bon atelier et referme à clef la porte derrière nous. Il est 8h45 et nous sommes enfermés avec eux pour 2h30. On se laisse encore quelques minutes, le temps qu’ils se retrouvent, échangent quelques anecdotes, se demandent pourquoi il en manque 4 en cherchant diverses explications possibles…

Puis on les invite à venir s’installer en cercle pour un petit tour de présentation. Ils annoncent leur prénom avec un sourire et des traits de caractère qui se dégagent déjà : enthousiaste, taquin, timide, doux, réservé, dragueur, effacé.

Et hop, c’est parti pour l’échauffement que Lucie se propose de mener. Et très vite, je sens que le bipper va me gêner plus qu’autre chose. Et de toute façon, j’en veux pas. On les accroche à la verticale sur le dossier d’une chaise posée dans les gradins. Et c’est parti pour un atelier en immersion. Avec eux. Ensemble. Mélangés.

L’échauffement du corps terminé, je prends le relais pour un exercice de groupe puis de mise en espace. Prendre conscience de l’espace qui nous entoure et prendre conscience de l’autre, dans cet espace donné.

L’humour est le maître mot et les rires se succèdent vite. À l’écoute, attentifs, volontaires, blagueurs, nos sept hommes évoluent dans l’espace et avec leur corps, au fil de nos consignes. On est avec eux mais on ne montre pas l’exemple. On fait. Chacun comme on peut avec ce qu’on peut.

Une petite heure après, on leur suggère de « marquer » la chorégraphie afin de se rafraîchir la mémoire avant la pause. L’un d’eux nous demande si on a réussi à obtenir l’autorisation de faire une restitution sur le dernier atelier. La demande est toujours en cours, même si elle n’a que peu de chance d’aboutir. Pourtant, on les sent fiers de nous montrer ce qu’ils ont appris. C’est leur quatrième atelier, et ils connaissent la choré. On danse avec eux. On les félicite pour leur mémoire. Pause.

Et retour du masque social. Immédiatement, alors qu’ils vont aller prendre une petite bouteille d’eau qu’on leur a apportée, certains commencent à fumer, d’autres vont se mettre dans un coin et observer, un autre va se mettre encore plus à l’écart pour qu’on le laisse tranquille et les plus tchatcheurs vont immédiatement entamer la conversation.

Pendant près d’une demie-heure, j’écoute – D – me raconter qu’il écrit énormément, des textes, des récits, des chansons. Que c’est souvent difficile en prison parce que le manque d’espace – dans tous les sens du terme – entrave son inspiration. Il a déjà écrit plusieurs albums… dont certains qui ont été perdus / volés ? Il peint, aussi. Mais il m’explique qu’il a envie de rencontrer quelqu’un qui lui apprenne de nouveaux mots. Parce qu’il a compris que ses mots à lui, on ne les écoutait pas. Et qu’il voudrait trouver un cadre pour pouvoir les exprimer. L’envie de l’accompagner est puissante mais je ne suis pas autorisée à lui communiquer mes coordonnées. Je l’incite donc à prendre contact avec Champ Libre quand il sortira dans un mois. Il se dit pourquoi pas, ça m’occupera et ça m’évitera de replonger. Pour le moment, il n’a jamais fait lire ses textes à qui que ce soit, si ce n’est ses proches en Martinique. Il n’a aucune idée de la forme que ça prendra. Pourquoi pas en concert ou sur scène. Mais il sait à quel point c’est dur, que ça demande du travail mais surtout, qu’il faut être accompagné et encadré pour que son discours soit entendu. Ses textes parlent de politique, parlent de drogues, parlent de sa fille, de ses enfants. Qu’il met parfois trois mois à trouver le bon mot, qu’il lui faut du temps pour bien les choisir.

Pendant ce temps, Lucie écoute quelques-uns d’entre eux qui tiennent absolument à expliquer pourquoi ils sont là. L’un raconte qu’il travaillait dans le BTP, qu’il a toujours voulu faire dans les règles. Et puis un jour, lui aussi a eu envie de partir en vacances. Et puis s’acheter tel ou tel truc. Et puis un jour, il en a eu marre de faire dans les règles et d’être frustré. Alors il s’est mis à l’argent facile, et il s’est fait coffrer. Mais c’est pas grave. C’est comme ça. Quand il ressortira il recommencera. Et ainsi de suite ?

Mais nous ne sommes pas là pour ça.

Allez ! On reprend ! On leur apprend le dernier module de la chorégraphie et on leur propose d’improviser pour la suite. Les idées fusent. On construit ensemble petit à petit. Et on arrive à un moment… très tentant… de leur laisser la possibilité de faire quelques secondes de solo. Sachant d’avance que certains seraient enthousiastes et d’autres plus réfractaires. Surprise. Tout le monde se lâche et joue le jeu. Ils prennent même des initiatives dans le « passage de relais ». Initiative qu’on validera, tellement l’idée était juste et bonne ! On redanse une dernière fois tous ensemble. On fait quelques étirements. Et l’atelier touche à sa fin…

On s’applaudit. On se remercie. On se serre la main. Et puis l’un lance « comme ça, vous saurez quoi raconter à votre petit ami ce soir ». Un autre demande « c’était votre première fois en prison ? ». Un autre s’exclame « Ah ! Vous êtes des primaires alors ! ». Un autre, encore « Et pourquoi vous avez voulu venir ? Ça vous fait quoi d’être là ? »

Ces deux heures et demie d’atelier, finalement, c’était un peu comme animer un atelier avec sept mecs « normaux », dans un contexte « normal », entre humour et force de propositions. Et puis soudain, on se prend le retour du boomerang en pleine face. Ma réalité n’est pas la leur. J’avais presque oublié où j’étais et pourquoi ils étaient là. Dire qu’ils nous confient qu’au départ, ils s’étaient inscrits à l’atelier parce que ça leur permettait d’avoir une remise de peine mais qu’ils pensaient fumer leur clope tranquille dans leur coin. Et quand on voit à quel point ils étaient motivés, volontaires, dynamiques…

Je discute aussi avec – W –, qui m’explique que pour avoir une réduction de peine, on pouvait non seulement s’inscrire aux ateliers mais aussi, consulter la psy toutes les semaines et accepter les missions de travail. Sauf qu’en prison, il n’y a plus de loi. Et pour mettre 100 notices (d’électroménager) sous plastique, on gagne 1,30€. Que sur une journée de sept heure de travail, on touche environ 15-20€ (parfois 30 ou 40€ si on est très rapide et très efficace). Que, dernièrement, une marque de maroquinerie est venue leur faire mettre sous pli ses produits de luxe pour « des clopinettes », malgré tout le soin et la minutie que la marque de luxe exigeait. Par contre, en prison tout se paie ; du Smartphone à 1100€ à la feuille de papier toilette. Mais -W- sourit, et de sa voix douce, il me dit tout simplement que lui aime bien travailler parce que ça occupe la journée. Je ne cesse de me demander ce qu’il a bien pu faire pour arriver là. J’apprendrai plus tard qu’il clame son innocence et que tout le monde le croit également innocent. Ça glace le sang, mais je n’ai pas à m’en préoccuper.

Et puis, au fil de la conversation, je finis par leur dire que je suis comédienne et que je viens tout juste de monter ma compagnie depuis trois jours. Ils sont curieux, ils me posent plein de questions, s’intéressent.

La surveillante vient les rechercher pour qu’ils regagnent leur cellule. Un dernier sourire. Une dernière poignée de main. Un dernier « au revoir et merci beaucoup ». Et -W- d’ajouter, en me serrant la main : « encore merci et surtout bonne chance pour votre compagnie, j’espère de tout cœur que ça marchera pour vous, je croise les doigts. »

Emotion.

On coupe la musique. On remet en ordre la salle, telle qu’elle était. On repasse la kyrielle de portes et leur « clac-clac » métallique. A chaque passage, on nous demande comment s’est passé l’atelier, on nous salue, on nous sourit. À notre contact, le personnel de prison fait démentir le dicton et déjoue toutes les idées reçues. Car oui, ces hommes et ces femmes, assez jeunes pour la plupart, étaient en effet bien plus aimables que les portes de prison dont ils avaient le contrôle…!

Et puis on regagne la sortie, à l’air libre. Quand nos sept détenus retournent dans leur cellule surpeuplée.

Il n’y a pas de jugement. Il n’y a pas d’excuse. Il n’y a pas de pitié.

Il y a juste un constat. De ces hommes qui restent des hommes. De cet échange presque « magique » qu’il y a pu avoir. De cette rencontre fortuite, improbable.

Alors à vous sept, messieurs, je vous répondrai que oui, j’avais à cœur de vouloir venir. De franchir la ligne. De venir à votre rencontre et à votre contact. J’avais envie de pousser ces grilles, et rendre concret ce qui se dit, à tord et à raison. J’avais envie de venir telle que je suis, avec mon amour pour mon art et mon métier, ma passion pour la danse, et mon envie de vous communiquer cette passion. Parce que c’est elle qui me fait tenir au quotidien. C’est elle qui me porte. C’est elle qui me nourrit. Et qui me fait espérer les jours où je veux tout lâcher, tout abandonner, tout envoyer en l’air. Ma liberté, je la trouve dans l’art. L’art est un vecteur magnifique d’expression, de création et même de catharsis.

J’avais peur d’idéaliser. J’avais peur de croire en une utopie. J’avais peur de tenir un discours candide et complètement à côté de la réalité. Mais je n’avais pas peur de venir vous rencontrer. Je n’avais pas peur de tenter l’expérience avec vous.

Au contraire. Dans le contexte actuel, de ces interminables semaines de période électorale, de menaces terroristes, de discours de radicalisation, de psychose insécuritaire relayée par les médias : il fallait que j’agisse. A mon échelle. Avec mes idéaux, mes croyances, ma volonté. On se sent très petit ; minuscule goutte d’eau dans l’océan. Mais après tout, pourquoi pas ?

Et vous m’avez montré, à défaut de pouvoir dire « c’est possible », que ce n’est pas impossible.

Merci »

 

Page facebook de Pauline Marbot – la compagnie.

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