Apéro POP désintox #2 : «Les troubles psychiatriques entre 4 murs».

Ce jeudi 30 avril avait lieu le deuxième apéro populaire de Champ Libre sur la psychiatrie « Les troubles psychiatriques entre 4 murs ». Mais cette fois-ci, confinement oblige, nous n’avons pas pu nous retrouver dans un bar convivial autour d’un verre, mais chacun.e chez soi en vidéo-conférence, avec notre bière ou notre tisane devant notre écran. Les échanges n’en sont pas moins animés et captivants !

Pourquoi vouloir enfermer les fous ? Qui décide de l’internement ? Vais-je devenir fou.folle en restant enfermé.e.? Voici les grande questions que nous nous sommes posées pendant plus de 2h. Nous, c’était un mélange de personnes curieuses, novices, sachantes ou concernées par ce grand thème des troubles psychiatriques. Réparti.e.s en sous-groupe, nous avons tentés de comprendre les relations entre troubles psychiatriques et enfermement, en répondant notamment à 5 grandes questions :

  1. Où est-ce que sont prises en charge les personnes souffrant de troubles psychiatriques ?
  2. Qui peut décider d’un internement / d’une hospitalisation en hôpital psychiatrique ?
  3. Quelle est la durée moyenne de l’internement ?
  4. Comment les troubles psy sont-ils pris en charge par la justice pénale ?
  5. Enfin, une dernière double question pour clore en beauté : en tant de crise alors que la totalité de la population est confinée, qu’advient-il des personnes souffrant de troubles psy ? En tant de crise, à partir de votre expérience personnelle, envisagez les possibles conséquences psychiatriques de l’enferment su les personnes détenus en prison, en CRA ?

Nous avons dû nous questionner sur les termes : de prise en charge, de « souffrance », d’internement. Qu’est ce que cette « charge » ? Ce terme pathologisant peu être remplacé par « prise en soin ». Aussi, si certain.e.s souffrent de troubles psychiatriques, on peut également simplement vivre avec. On parle aussi plus volontiers d’hospitalisation sous contrainte que d’internement, qui renvoie à la violence de l’asile.

Nous avons appris qu’il existait une myriade (parfois trouble pour des non-initié.e.s) de prises en charge que l’on résume souvent par « hôpital psychiatrique » : l’intra-hospitalier qui concerne les patient.e.s hospitalisé.e.s jour et nuit, mais également l’extra-hospitalier, ou l’ambulatoire, comme celles et ceux qui viennent seulement en journée (l’hôpital de jour), en CMP (Centre médico-psychologique), très présents mais parfois cachés de l’espace public, en GMP, ou encore les patient.e.s pris.e.s en charge à la maison par des équipes à domicile. D’ailleurs, plus de 70% des personnes suivies par les services de psychiatrie ne sont en fait jamais hospitalisées. Il y a une grosse disparité entre les milieux urbains et ruraux, avec une sectorisation bien moins importante à la campagne car les services ne sont pas assez grands pour se spécialiser, et toutes les pathologies sont regroupées. Et il y a aussi d’autres lieux, tels que les EHPAD ou les prisons qui sont aussi des lieux de prise en charge auxquels on pense peu. Souvent on répond aux troubles par voie médicamenteuse car les moyens ne sont pas suffisant pour que le personnel assurent un suivi suffisant.

La grande majorité des patient.e.s sont hospitalisé.e.s librement, même si encore 80.000 par an le sont encore aujourd’hui de manière non consentie (+15% depuis 2011). Cette hospitalisation se fait à la demande d’un tiers (en général de la famille), d’un médecin, d’un policier ou d’un pompier, voir même de l’Etat (via le préfet). Nous avons notamment écouté les témoignages de personnes ayant été hospitalisées contre leur gré, à la demande d’un tiers, et l’ayant parfois vécue violemment. La question du consentement est assez ambiguë. Claire témoigne :

« je suis entrée volontairement à l’hôpital parce que j’étais anorexique et que j’espérais que ce serait plus simple d’y perdre du poids que chez moi. On m’a présenté ça comme un privilège, car je n’étais pas vraiment encore considérée comme en situation de danger. Mais une fois entrée, librement, je ne pouvais plus en sortir. Personne ne m’avait prévenu que je courrais ce risque d’enfermement en me présentant ».

Inversement, même s’il y a besoin d’une hospitalisation, ce n’est pas toujours possible. À Paris il y a par exemple une très grosse demande et donc un turnover important sur les lits. Les directeurs ont mis en place un vocabulaire très affligeant : le « bed blocker », pour les patient.e.s de longue durée, un terme violent qui renvoie à une gestion entrepreneuriale de l’hôpital. La contrainte de l’hospitalisation doublée de la question de l’expulsion, de la sortie de l’hôpital pour des raisons parfois financières et non pas médicales, rajoute à la violence que peuvent rencontrer les personnes ayant été hospitalisées. En 2004 (derniers chiffres trouvés) l’hospitalisation dure en moyenne 54 jours – c’est deux fois moins que dans les années 80. Le temps de la maladie est pourtant un temps long, on ne peut pas le traiter seulement avec des hospitalisations de crise.

La question des liens entre troubles psychiatriques et justice pénale s’est également posée. Les juges peuvent demander des expertise psychiatriques pour savoir s’il y a « abolition du discernement », mais en réalité ça dangereux : les peines sont plus longues pour ceux qui vivent avec des troubles psy car la justice a peur d’eux. Le dispositif de la rétention de sureté instaurée par Nicolas Sarkozy en 2009 a contribué à créer parfois une confusion entre troubles psychiatriques et dangerosité : on ne juge plus sur les actes mais sur la personnalité d’une personne. On a aussi appris que seulement 0,5% des expertises psychiatriques lors des jugements en assises prononçaient des non-lieu pour non-discernement de l’individu sur ses actes liés à des troubles psychiatriques.

Enfin, on s’est posé la question d’actualité de l’impact du confinement sur l’hôpital psychiatrique et l’enfermement en général. Le manque de matériel et de moyens est constaté comme dans la plupart des services hospitaliers… Mais on a également trouvé du positif, dans le fait que certaines personnes, de par la moindre pression sociale ou professionnelle, pouvaient mieux vivre la période, entourées de leurs proches et de leur famille. Finalement, on était pour beaucoup dans le même bateau. En bref, on a continué à briser nos préjugés, on a beaucoup appris sur le fonctionnement de l’hôpital psychiatrique, sur ses manques et ses besoins, et on s’est demandé quel est notre rapport à l’enfermement, à nous, confiné.e.s.

A consulter : SOS psychophobie, ZinzinzineCLE autistes notamment avec des infos et actus liées au covid.
Livre : La casse du siècle : à propos des réformes de l’hôpital public De Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent Raisons d’agir éditions,, 2019