Yves s’est rendu à la Maison d’Arrêt de Bois D’Arcy pour accompagner Hervé Dakpo sur trois séances d’économie agricole. Au programme : la surexploitation des ressources va-t-elle entraîner un effondrement de nos civilisations ? La croissance zéro est-elle un horizon possible et souhaitable ? Le bio peut-il nourrir le monde ? Il nous raconte ici ce qu’il a découvert.

Ça fait 10 ans que je connais Hervé mais je me rends compte qu’on n’a pas si souvent l’occasion de parler de nos métiers respectifs. Pourtant, il adore présenter ce qu’il fait et en parle avec brio.

Face à un petit groupe de participants, dont nous ne connaissons que le prénom sans savoir ce qui les a amenés derrière les barreaux, nous commençons donc les présentations. Je précise que Champ Libre propose de simples rencontres entre personnes désireuses de partager un savoir et Hervé commence à dérouler sa biographie. Né au Bénin, il y a vécu jusqu’à son master en statistiques : puis c’est le grand saut en France avec des études à Clermont-Ferrand. Ça devient particulièrement intéressant lorsqu’il évoque son sujet de stage de fin d’étude : le pet et le rot des vaches. Je suis le seul à me marrer tout simplement parce que personne dans la salle n’a vraiment compris, ou pensé avoir bien compris, ce qui vient d’être dit. Oui, Hervé a étudié pour l’INRAA l’impact environnemental des flatulences des bovins d’Auvergne. Il oscille régulièrement entre un discours qui se veut sérieux et scientifique et son franc parler naturel : c’est ce dernier qui fini par l’emporter. On parle donc du pet des vaches, de leur excréments et plus tard dans les séances de lapins qui font orgies sur orgies – pour Hervé, une métaphore de ce que font les êtres humains avec les énergies fossiles.

Les discussions sont très animées. Des flatulences bovines on passe à des questions sur l’agriculture : comment nourrir toute la planète ? L’écosystème peut-il supporter notre charge environnementale ?  La mauvaise qualité de la nourriture en prison ne pousse-t-elle pas à devenir végétarien ? On se marre bien et on imagine des moyens d’éviter l’effondrement de notre société industrielle. Certains participants avancent des solutions mais d’après Hervé ça ne sert à rien. Il faut accepter la réalité telle quelle est : toute civilisation connait une apogée puis un déclin. Et en gros, on a déjà dépassé la limite depuis bien une vingtaine d’année et on va bien avoir du mal à s’en sortir. On se met alors à réfléchir à des moyens d’être plus résilients, c’est-à-dire à mieux faire face aux risques. Collectivement, nous finissons par imaginer appartenir à une communauté qui essayerai de fonctionner sans utiliser de pétrole. Mais on se rend compte bien vite que personne autour de la table n’a les compétences pour nous procurer les vivres nécessaires à notre survie : c’est mal barré.

Les sujets abordés sont pointus et Hervé nous amène très loin. Parfois on commence à avoir du mal à suivre. Quand on aborde les lois de la thermodynamique on frise la surchauffe du cerveau. Mais en même temps, c’est comme ça qu’on a envie de continuer à en apprendre plus et Hervé nous rattache toujours à des exemples concrets. Parmi les participants, l’un d’entre eux suit en ce moment un atelier philo : il nous amène alors sur la question de la « morale » et sur la distinction entre les « besoins » de l’Homme et ses « désirs » : peut-être que si on se recentrait sur ce qui était véritablement vital pour nous… Bref, peu d’espoir mais paradoxalement ça éveille en nous l’envie de vivre autrement. L’un des participants se voit déjà vivre loin de Paris à sa sortie de détention.

Arrivé au dernier atelier, Hervé est toujours en pleine démonstration au moment où le surveillant vient ouvrir la porte. Il cherche encore à ajouter quelques éléments de comparaisons entre le biologique et l’agriculture conventionnelle. Les derniers échanges se font un peu rapidement, on se dit en revoir et on exprime notre déception d’être déjà arrivé à la fin de cet atelier. Seule consolation, Champ Libre enchaine dès la fin du mois de mars avec un atelier sur le commerce équitable : de quoi continuer à réfléchir sur comment nourrir le monde…