En octobre, Georgine participe à son premier atelier avec Champ Libre. Elle nous raconte comment elle en est arrivée là et ce qu’elle a découvert…

Il y a quelques mois, deux amies qui travaillent en prison me parlent de l’association Champ Libre et de son action auprès des personnes détenues.

La prison est un monde que je connais peu mais qui me touche. C’est dans le cadre de mon travail que j’ai pour la première fois eu l’occasion de rencontrer ce milieu. Je travaille dans un théâtre et nous avions accueilli la restitution d’un projet porté par une compagnie, après plusieurs mois d’ateliers de théâtre menés avec des personnes détenues, hommes et femmes.

Quelques échanges, rencontres et réunions avec l’équipe de Champ Libre plus tard, on me propose d’accompagner un premier atelier au centre pénitentiaire de Réau, un atelier de composition florale.

Le jour J, le rendez-vous est fixé à 7h à l’atelier de Pampa, à Paris, où travaillent les deux fleuristes qui mèneront l’atelier. J’y retrouve Aude, bénévole depuis plusieurs années, et Laura et Colette, fleuristes. Laura est déjà intervenue plusieurs fois en prison. Pour Colette, c’est aussi une première. On charge les fleurs dans la voiture, qui nous emmène après une heure de route environ au centre pénitentiaire de Réau.

Première étape, rencontrer l’équipe de la maison des familles, située juste à côté de l’entrée de la prison. C’est là que les proches des détenus sont accueillis avant d’entrer en détention pour un parloir. Nous nous assurons que nous pourrons y déposer les bouquets réalisés par les détenus à la fin de l’atelier pour qu’ils soient remis à leurs proches lors de leur prochain parloir pour ceux qui le souhaitent.

Puis nous entrons dans la prison, des bacs remplis de fleurs à la main. Les fleurs intriguent les surveillants que nous rencontrons tout au long de notre parcours jusqu’à la salle où va se dérouler l’atelier. Certains ont l’air d’autant plus surpris que l’atelier de composition florale soit organisé pour un groupe d’hommes. Après une heure d’attente (l’atelier, prévu à 9h, ne commencera qu’à 10h), qui nous donne l’occasion de discuter de la vie et du travail en détention, des expériences de chacune en lien avec la prison, l’atelier s’apprête à débuter. Avec un peu d’appréhension et beaucoup d’impatience, j’attends que les détenus nous rejoignent. Dans la petite salle où nous allons passer une heure et demie, nous avons disposé les fleurs sur la table de ping pong autour de laquelle se déroulera l’atelier.

Les détenus arrivent, ils sont finalement dix. Je suis frappée par la jeunesse de certains d’entre eux. On se salue, Aude présente l’association, Laura et Colette. L’atelier peut commencer. Laura explique et montre étape par étape comment composer un bouquet : nettoyer les tiges, positionner les fleurs les unes par rapport aux autres, couper les fleurs, nouer le bouquet… Ils écoutent attentivement et se lancent. L’ambiance est studieuse et détendue, les dix participants s’appliquent, s’entraident, blaguent. Les bouquets sont tous différents et très réussis. Laura et Colette ont amené des cartes pour accompagner les fleurs, chacun prend le temps d’écrire quelques mots et de les glisser dans son bouquet avant de nous le confier. Pour la grande partie d’entre eux, ils sont destinés à leur amie ou à leur mère. L’un d’entre eux me demande d’écrire pour lui les mots attentionnés qu’il adresse à sa mère. On est bien loin de tous les clichés ou préjugés qui entourent le milieu carcéral et les personnes détenues.

L’atelier est déjà terminé. Le temps de ranger la salle et de se dire au revoir, nous ressortons avec les bouquets, que nous déposons à la maison des familles, avant de repartir avec le souvenir de cette première expérience.

Mon prochain atelier ? La linogravure à la maison d’arrêt de Versailles…

Un frais matin d’été, comme ils sont si courants à Paris en Juillet. Il fait presque trop froid et nous sommes à peine assez habillés malgré le beau ciel bleu. Nous sommes en avance, pas de cafés aux alentours. A l’ombre d’une grande avenue, de grands bâtiments en pierre de taille nous font face. Le nôtre ne dépare pas, si ce n’est la vitre opaque, l’hygiaphone et le drapeau français.

Appréhension… c’est la première fois que, citoyen sans histoire ou presque, je vais mettre les pieds dans une prison. Premier contact, administratif, comme à la CAF. « Bonjour Messieurs, papiers d’identité s’il vous plaît ? Vous venez pour ? ». Nous sommes venus pour faire de la poésie, mais est-ce que nous ne nous sommes pas trompés de direction ? Vanité de l’écriture contre la froideur cordiale de la prison.

1ère porte. Il faut prendre un tout petit casier, comme un vestiaire de piscine, laisser toutes ses affaires. 2ème porte – 1er bip d’ouverture. Ce n’est pas la douche, mais le portail de sécurité. 3ème porte – 2ème bip. On avance, vers où ? on ne sait pas trop. 4ème – 3ème bip. La cour des hommes, on traverse. 5ème porte – des clés cette fois-ci ? Un couloir. 6ème porte – 2ème serrure. Un plus petit corridor. 7ème porte – 3ème serrure. Le bâtiment pour femme. Deux étages. La salle commune est au premier. La porte est fermée mais pas à clef. On nous a ouvert… Attention délicate. Salutations de rigueur, plus cordiales, presque chaleureuses. « On vous attendait, on vous les amène ». Tous les deux, seuls, dans la salle. On attend. Elles arrivent en file indienne : E., B. , S., S., M., J. , A., M., C.,C.

Surprise. Salutations gênées. On s’observe un peu et puis on commence. Un questionnaire de Proust, quelques activités et l’on parle de la vie, des absents, des petites sensations du quotidien qui nous manquent, les odeurs, les saveurs. Les paysages qui habitent notre enfance. La pluie qui tombe sur les toits de tôle de Kinshasa, les enfants qui jouent nus dans les flaques de latérites détrempées. Résonnent avec nous les rires, la chasse aux grenouilles. Nous pourrions tout aussi bien être autour d’une table à nous remémorer nos souvenirs, avec ce silence qui s’installe et laisse chacun à la recherche de ces bribes d’enfance perdues. Mais ici dès que le silence revient, la prison nous rattrape et nous sépare à nouveau. Ces femmes dont nous étions si proches et avec qui nous avions une enfance en commun.

3 ½ journées, 6 heures, 48 portes, 6 clés. Mais des sourires, des regards, des voix, une émotion… Une humanité… La poésie de l’instant. Ce qu’il me reste de Versailles.

Jean-Pierre

Yves, bénévole de Champ Libre s’est rendu à la Maison d’Arrêt de Bois d’Arcy pour accompagner Anne et Jeanne de l’association Théâtre des Merveilles pour un cycle de trois ateliers-théâtre. Au programme : improvisation, expression verbale et corporelle, et travail de textes. De beaux moments de partage, d’émotion, et beaucoup de rires. Anne et Jeanne nous racontent leur expérience…

Pouvez-vous nous présenter votre théâtre ?

Notre association Théâtre des Merveilles a pour vocation de permettre à tous, et en particulier aux personnes isolées, de se sentir mieux au quotidien pour mieux-vivre ensemble, grâce à la pratique théâtrale. Nous animons donc en binôme des ateliers-théâtre en faveur de tous les publics dits en difficulté : personnes réfugiées et demandeurs d’asile, personnes sans domicile, détenus et sortants de prison, personnes âgées, hospitalisées, jeunes en quartier prioritaire. Nous tentons, autant que possible, d’ouvrir les portes de nos ateliers au grand public afin de créer du lien entre personnes éloignées. Notre pratique permet ainsi de lutter contre l’isolement et contre l’exclusion culturelle.

Comment en êtes-vous arrivées à intervenir en détention ?

Dans notre démarche de casser les barrières avec les publics isolés, naturellement, les lieux fermés sont des endroits auxquels nous sommes sensibles. Dès la naissance de notre association Théâtre des Merveilles, nous pensions au milieu carcéral. La prison, le fait que les détenus soient coupés du monde, éveillait en nous le désir  de créer du lien avec eux. Nous avons du coup voulu rencontrer Champ Libre, et, parce que nous partageons des valeurs communes, naturellement, nous avons immédiatement souhaité collaborer ensemble. Là, nous avons mis en place un premier cycle d’ateliers-théâtre durant l’été à la Maison d’Arrêt de Bois d’Arcy.

Quel est votre objectif à travers ces ateliers-théâtre ?

Aucun participant n’avait fait de théâtre, donc c’est déjà l’occasion de leur donner un accès à cette pratique. Même sans expérience, ils ont tout compris directement. Nous avons été surprises de l’énergie incroyable qui s’est déployée là. De toutes nos expériences théâtrales, on a rarement vu une telle vitalité. Tous s’impliquent et donnent beaucoup d’eux-mêmes tout en s’amusant. C’est là le merveilleux pouvoir du théâtre !

Dans ce lieu « fermé » où les détenus vivent un quotidien difficile, le simple fait d’aller à leur rencontre et de leur donner l’occasion de s’exprimer librement (verbalement et physiquement) donne lieu à des moments de théâtre – et tout simplement de vie – absolument extraordinaires. Il y a une urgence parce que dans leur quotidien en détention, ils n’ont pas l’occasion de s’exprimer, d’être regardés et écoutés. Alors tout d’un coup, le fait d’être placés au centre de l’attention, d’être considéré et valorisé, de prendre le temps de ça, c’est énorme.

Qu’est-ce que vous avez apporté aux détenus ?

On a tous besoin d’écoute et d’attention, les détenus plus que personne, donc pouvoir leur apporter ça – entre autres – grâce au théâtre c’est merveilleux ! Ça a été une belle contribution pour eux parce que ça répond à une vraie nécessité à la fois de s’exprimer, de s’amuser, et de s’unir aux autres participants à l’atelier et à nous (personnes extérieures à la prison). Mais ce sont eux les plus à même d’en parler ! Nous avons pris note des témoignages qu’ils nous ont livrés lors du bilan. En voici quelques-uns :

« Le théâtre ça fait énormément de bien. C’est un apport énorme : on sort de nos cellules, on se change les idées, on construit quelque chose. Ça permet de mieux s’accepter, de mieux vivre la détention, réfléchir sur le passé et surtout sur l’avenir. »

« Le théâtre nous a permis de nous ouvrir, d’extérioriser ce qu’on a en nous. Jouer la vie, ça nous touche beaucoup parce qu’on en parle jamais, et c’est important. »

« Ça permet de mieux se connaître les uns les autres, de s’entraider et se sentir moins seul. »

« Ces ateliers-théâtre, ça nous a permis de nous évader, de sortir de « tout ça », de nous changer les idées, rencontrer des gens et créer des liens. »

« Ça permet de s’exprimer, on a le temps de dire ce qu’on a envie, ce qu’on ressent. Ça fait du bien, c’est positif. Jouer la vie ça fait réfléchir et ça permet de se sentir mieux. »

Enfin, les détenus qui sortent bientôt de prison nous ont fait part de leur souhait de participer à nos ateliers-théâtre hebdomadaires ouverts à tous à Paris. Ils savent qu’ils sont tous les bienvenus !

Les au-revoir ont été très émouvants. Mais nous garderons tout ça très fort en nous et nous allons continuer autant que possible à aller donner des ateliers-théâtre en détention, certainement avec Champ Libre.

Qu’est ce que ces ateliers vous ont apporté ?

Nous avons la sensation que cette aventure commune a été aussi riche pour les détenus que pour nous. Quand on sort de l’atelier, on ressent très fort l’apport que ça a été : on se sent chargées, enrichies. Et on a aussi la sensation d’avoir apporté quelque chose. C’est vraiment un échange d’égal à égal, et cette dimension là est absolument formidable. Ça a été une rencontre humaine et artistique très forte, bénéfique aussi pour les autres ateliers-théâtre que l’on anime. C’est donc aussi un grand apport pour notre association.

Angélique et Unt ont accompagné Anne-Sophie, Mathilde, Valentine et Elise pour enseigner les bases de la langue des signes a un groupe de 8 personnes détenues à Réau. Les intervenantes ont fondé Vouloir Dire, une plateforme qui vient de sortir pour mettre en relation des interprètes avec des sourds et malentendants. Anne-Sophie et Unt ont discuté de cette expérience…

Anne Sophie – Notre projet “Vouloir dire”, une plateforme de réservation d’interprètes à destination des personnes sourdes, a postulé au concours Cognacq Jay, et par conséquent nous avons été invités à voir les lauréats. C’est là que nous avons rencontré Champ Libre, lauréat cette année là. Nous avons adoré le concept, et le feeling est passé très vite. Nous avons donc eu directement envie d’organiser une session de sensibilisation et de découverte de la langue des signes en prison. A partir de là tout s’est fait très simplement !

L’atelier ne fait que quelques heures, ce n’est pas suffisant pour une vraie formation qui inclut un apprentissage construit de la langue, avec une découverte de la syntaxe, de la grammaire… L’idée là n’était pas d’avoir une pédagogie académique ! La sensibilisation, c’est une ouverture d’esprit vers cette autre langue dont on n’a pas l’habitude, ponctuée de culture source, d’information sur comment vivent les sourds au quotidien, sur pourquoi la LSF n’est pas plus diffusée… Il faut capter l’attention des participants, et ouvrir leur réflexion. L’idée c’est de construire l’atelier tous ensemble, d’ailleurs on a fait évoluer au fur à mesure le contenu par rapport aux participants et à leur réception.

L’environnement de la prison, c’est beaucoup de portes à franchir, j’ai perdu le fil en essayant de les compter. Les bâtiments se ressemblent tous. Je pense que c’est primordial que les bénévoles soient avec nous, c’est une belle passerelle ! On a un rapport de confiance tous ensemble qui donne encore plus envie d’y aller. Une fois dans le bâtiment, l’ambiance est beaucoup plus bon enfant et pleine d’humanité entre les participants.

Ca a vraiment été une expérience forte et bénéfique pour moi. Je ne laisserai plus jamais dire que les prisonniers sont bien lotis en France, la formation m’a donné les arguments pour répondre et je ne supporte plus de l’entendre !

Pour la première séance il y avait pas mal de participants. Le deuxième samedi, nous n’avons pas pu entrer à cause d’un problème administratif. C’était très frustrant, et nous ne voulions surtout pas que les participants pensent qu’on leur avait fait faux bond. Être juste comme ça derrière la porte et ne pas pouvoir aller plus loin… Heureusement nous avons pu tout expliquer à la séance suivante, mais le nombre de présents avait déjà pas mal diminué.

L’atelier s’est extrêmement bien passé. Nous nous sommes réparties en binôme, une semaine sur deux, afin que les participants voient deux façons assez différentes de faire.

Les participants étaient très ouverts, ils avaient plaisir à être là et étaient à l’écoute. Dans la plupart des sensibilisations, les gens n’osent pas… là ils n’avaient pas honte d’essayer, de mimer, de faire des grimaces… C’était très confortable pour nous, et ça a rendu l’atelier très dynamique ! Ils comprenaient très vite, ils arrivaient à faire passer des idées complexes quand on leur avait donné trois signes… Des mecs super intelligents. Et leur motivation était incroyable ! D’habitude les entendants qu’on rencontre disent des choses comme “J’ai toujours eu envie d’apprendre mais ça coûte trop cher”, ou “J’ai vu à la télé une sourde, ça a l’air génial”. Là ils nous ont sorti que si demain ils avaient un enfant sourd ils voulaient pouvoir lui parler. On n’avait jamais entendu ça, c’était tellement altruiste comme motivation ! A la fin, un participant nous a avoué qu’il avait grandi avec un ami sourd, avec qui il avait fait les quatre cent coups… Ils se comprenaient quand même ! Peut-être que c’était sa motivation, que ça lui a rappelé de bons souvenirs.

En tout cas on va leur envoyer des livres pour qu’ils puissent continuer à se familiariser.

Paul est allé en prison cette année accompagné par Irène, bénévole à Champ Libre. Il raconte son atelier en quelques paragraphes.

J’ai rencontré Champ Libre lors de mon service civique dans l’association FAIR[e] un monde équitable, et l’idée d’un atelier sur le commerce équitable en milieu carcéral faisait partie d’un projet de sensibilisation plus vaste. J’ai sauté sur l’occasion d’avoir cette expérience spécifique de rentrer dans une prison. J’avais dans l’idée que ça ne changerait pas beaucoup des temps de sensibilisations que je réalise d’habitude : cela peut être en s’adressant à des personnes dans la rue, ou à un groupe dans une entreprise… A chaque fois il faut adapter son discours à un nouveau public ! La formation de Champ Libre nous a beaucoup aidé à déconstruire quelques idées fausses que les médias véhiculent sur ce que peut être l’intérieur d’une prison.

Pendant l’atelier, l’idée était de présenter les filières cacao et café, qui sont les filières d’origine du commerce équitable, et les plus connues, afin de mettre en évidence ce que change le commerce équitable dans ces filières et présenter les différents acteurs. Nous voulions échanger et pas faire un exposé comme face à une classe, nous avons donc conçu plein de petites animations, des temps de jeu, des moyens pour aller chercher l’interaction et l’échange. Cela a permis d’ouvrir le débat sur les enjeux en termes de développement durable, mais également en termes économiques et sociaux.

Nous étions à Bois d’Arcy. Les premiers moments dans l’environnement de la prison sont un peu inconfortables, les bâtiments sont très contrôlés. Mais une fois dans la salle de l’atelier, l’espace fait plus penser à un lycée. Et surtout, une fois l’atelier lancé avec ses animations interactives, ça a été tout seul. Les participants étaient très déterminés et investis ; on a essayé de mettre en confiance ceux qui avaient un peu plus de mal à parler. L’important c’est de sortir de la posture de sachant, la relation est vraiment d’égal à égal. Le ton est assez libre, mais avec beaucoup de respect, ils étaient d’ailleurs assez formels au début.

Au final ils étaient plus sensibilisés que les publics habituels. Ils étaient très intéressés et ils avaient un regard assez éclairé sur les questions environnementales et sociales ; cela matchait bien avec les valeurs du commerce équitable sur le respect des personnes. Les personnes qu’on croise en entreprise ont plus de mal à avoir un regard critique sur leur environnement ! On est vraiment très loin des clichés. Les participants étaient très attentifs et ils ont posé plusieurs questions très précises pour lesquelles nous n’avions pas les réponses, mais que nous avons pu faire remonter à nos responsables.

C’était une expérience vraiment très enrichissant, avec en bonus la sensation d’être utile. On fournit de l’échange et on sent énormément de reconnaissance et de bienveillance de la part des participants. Je pense que le fait que nous soyons assez jeunes, peut être plus que la plupart des intervenants, a un peu joué : ça leur a fait du bien de constater que des jeunes s’intéressent à ces problématiques.

Les au-revoir étaient très touchants. J’ai vraiment adoré l’expérience, je ne sais pas si je pourrai renouveler ça mais en tout cas je le recommande à tous ceux qui auraient l’opportunité d’essayer !

Yves s’est rendu à la Maison d’Arrêt de Bois D’Arcy pour accompagner Hervé Dakpo sur trois séances d’économie agricole. Au programme : la surexploitation des ressources va-t-elle entraîner un effondrement de nos civilisations ? La croissance zéro est-elle un horizon possible et souhaitable ? Le bio peut-il nourrir le monde ? Il nous raconte ici ce qu’il a découvert.

Ça fait 10 ans que je connais Hervé mais je me rends compte qu’on n’a pas si souvent l’occasion de parler de nos métiers respectifs. Pourtant, il adore présenter ce qu’il fait et en parle avec brio.

Face à un petit groupe de participants, dont nous ne connaissons que le prénom sans savoir ce qui les a amenés derrière les barreaux, nous commençons donc les présentations. Je précise que Champ Libre propose de simples rencontres entre personnes désireuses de partager un savoir et Hervé commence à dérouler sa biographie. Né au Bénin, il y a vécu jusqu’à son master en statistiques : puis c’est le grand saut en France avec des études à Clermont-Ferrand. Ça devient particulièrement intéressant lorsqu’il évoque son sujet de stage de fin d’étude : le pet et le rot des vaches. Je suis le seul à me marrer tout simplement parce que personne dans la salle n’a vraiment compris, ou pensé avoir bien compris, ce qui vient d’être dit. Oui, Hervé a étudié pour l’INRAA l’impact environnemental des flatulences des bovins d’Auvergne. Il oscille régulièrement entre un discours qui se veut sérieux et scientifique et son franc parler naturel : c’est ce dernier qui fini par l’emporter. On parle donc du pet des vaches, de leur excréments et plus tard dans les séances de lapins qui font orgies sur orgies – pour Hervé, une métaphore de ce que font les êtres humains avec les énergies fossiles.

Les discussions sont très animées. Des flatulences bovines on passe à des questions sur l’agriculture : comment nourrir toute la planète ? L’écosystème peut-il supporter notre charge environnementale ?  La mauvaise qualité de la nourriture en prison ne pousse-t-elle pas à devenir végétarien ? On se marre bien et on imagine des moyens d’éviter l’effondrement de notre société industrielle. Certains participants avancent des solutions mais d’après Hervé ça ne sert à rien. Il faut accepter la réalité telle quelle est : toute civilisation connait une apogée puis un déclin. Et en gros, on a déjà dépassé la limite depuis bien une vingtaine d’année et on va bien avoir du mal à s’en sortir. On se met alors à réfléchir à des moyens d’être plus résilients, c’est-à-dire à mieux faire face aux risques. Collectivement, nous finissons par imaginer appartenir à une communauté qui essayerai de fonctionner sans utiliser de pétrole. Mais on se rend compte bien vite que personne autour de la table n’a les compétences pour nous procurer les vivres nécessaires à notre survie : c’est mal barré.

Les sujets abordés sont pointus et Hervé nous amène très loin. Parfois on commence à avoir du mal à suivre. Quand on aborde les lois de la thermodynamique on frise la surchauffe du cerveau. Mais en même temps, c’est comme ça qu’on a envie de continuer à en apprendre plus et Hervé nous rattache toujours à des exemples concrets. Parmi les participants, l’un d’entre eux suit en ce moment un atelier philo : il nous amène alors sur la question de la « morale » et sur la distinction entre les « besoins » de l’Homme et ses « désirs » : peut-être que si on se recentrait sur ce qui était véritablement vital pour nous… Bref, peu d’espoir mais paradoxalement ça éveille en nous l’envie de vivre autrement. L’un des participants se voit déjà vivre loin de Paris à sa sortie de détention.

Arrivé au dernier atelier, Hervé est toujours en pleine démonstration au moment où le surveillant vient ouvrir la porte. Il cherche encore à ajouter quelques éléments de comparaisons entre le biologique et l’agriculture conventionnelle. Les derniers échanges se font un peu rapidement, on se dit en revoir et on exprime notre déception d’être déjà arrivé à la fin de cet atelier. Seule consolation, Champ Libre enchaine dès la fin du mois de mars avec un atelier sur le commerce équitable : de quoi continuer à réfléchir sur comment nourrir le monde…

 

 

Le 29 janvier, Maï-Liên, Aurore, Irène et Lola sont allées à la Maison Centrale de Poissy pour participer au semi-marathon organisé par le collectif de détenus Robins des Murs. Explications sur la conception du projet…

Inspirés par l’initiative du Ministère de la Jeunesse et des Sports, qui lance en septembre 2018 la première édition de la Fête du Sport, des membres de Champ Libre ont l’idée d’un atelier un peu particulier en détention : proposer aux personnes détenues qui le souhaitent de les accompagner à monter leur propre évènement sportif en détention.

De ces ateliers est né Robins des Murs, un collectif de détenus qui associe défi sportif et collecte au profit d’une association caritative.

Le 29 janvier, une première course a lieu, qui a réuni 35 coureurs de la Maison Centrale (détenus, surveillants, personnel de santé, SPIP, membres de Champ Libre), une dizaine d’autres personnes détenues pour la logistique de la course, et une dizaine de “cyclistes” qui ont participé en se relayant sur deux vélos d’appartement installés pour l’occasion dans le gymnase.

L’événement a été repris et est à lire dans des articles du Courrier des Yvelines et du Parisien.

Déroulé des ateliers et du tournoi test

Dès le premier atelier, l’idée d’exploit sportif caritatif a émergé. Les efforts se sont concentrés pour définir collectivement les premières étapes les plus facilement opérables pour mener à bien le projet. Il a donc été décidé de faire une course “test” de 21km (semi-marathon / vélo d’appartement) ainsi qu’une collecte de denrées alimentaires auprès des détenus et des surveillants.

L’hypothèse à valider était double, démontrer :

  1. que les détenus peuvent se mobiliser pour une cause sociale comme tout citoyen,
  2. qu’il est possible d’organiser ce genre d’exploit en prison.

Les séances suivantes ont permis de définir la cause pour laquelle les participants se sentaient motivés de courir et identifier l’association bénéficiaire de la récolte, de s’entendre sur la répartition des rôles de chacun, le nom de l’initiative, son logo, sa charte graphique, produire les flyers pour mobiliser les autres détenus, le manifeste, des interviews pour documenter la démarche.

L’événement « test » est une réussite, avec 901 dons alimentaires (420 kg récoltés), une contribution à la récolte 90% des 200 personnes détenues de la Maison Centrale, et une belle mobilisation sur le terrain de sport. Le fort engagement du personnel pénitentiaire, tant sur la récolte, que sur le déroulé de l’évènement, est aussi remarquable. L’ambiance le jour-même était au partage, à la joie, à l’entraide. Le défi sportif et la cause commune ont tenu leur promesse de prétexte fédérateur.

 

Angélique a accompagné Joanne et Arthur au quartier des femmes du Centre Pénitentiaire Sud Francilien pour un atelier de création de scénario de cinéma. Ils nous racontent…

Comment raconter une histoire au cinéma ?

C’est le fil rouge de l’atelier que nous avons proposé. Au-delà de l’aspect théorique, nous voulions surtout montrer que la pratique du scénario et de la réalisation est à la portée de toutes.

Quelques mois auparavant, nous avions rencontré l’association Champ Libre lors d’un apéro pop sur les femmes en prison. Lors de cette soirée de débats et de partage, nous avions appris que les femmes étaient extrêmement minoritaires en milieu carcéral, et que la non-mixité limitait considérablement leur accès aux différentes activités et aux soins.

Jeunes professionnels du cinéma, nous avions alors décidé de développer un atelier autour de nos métiers, en demandant spécifiquement à intervenir en quartier pour femmes. Avant notre première séance, nous avions surtout peur du manque de participation pendant l’atelier : nous ne voulions pas faire cours, mais plutôt créer ensemble et échanger. Que faire sans matière de leur part ? Mais, lorsque nous commençons une histoire en fin de séance et que nous leur demandons d’imaginer la suite, elles ont toutes une idée à présenter en quelques secondes.

En salle d’atelier, peu de choses laissent penser que nous sommes en prison. Les participantes viennent avec leurs cahiers, leur politesse, leur curiosité. Au fil des séances et de l’écriture, nous en apprenons un peu plus sur elles. Non pas sur la raison de leur incarcération, mais sur leurs goûts, leurs expériences, ce qui se reflète d’elles dans les personnages qu’elles imaginent et les critiques qu’elles font du travail des autres.

Tour à tour, elles se mettent dans la peau d’une réalisatrice, corrigent leurs dialogues, dirigent leurs comédiennes, et s’initient au langage cinématographique. Lors de notre dernière séance, nous dépassons amplement le temps imparti pour répondre aux dernières questions et satisfaire les dernières curiosités.

Nous partons avec le souvenir d’un moment de partage riche et étonnant, grandis par nos premiers pas d’enseignants et par ce que nous avons pu créer ensemble. C’est avec un grand plaisir que nous leur avons transmis un peu de nos univers et de nos métiers, et nous espérons qu’elles garderont avec elles ces quelques outils et connaissances pour mieux s’exprimer, mieux comprendre les films, et surtout mieux rêver grâce au cinéma.