Début avril 2020, Kevin Chausson du Contrôleur Général des lieux de prévention de liberté a accepté une rencontre avec les membres de Champ libre pour nous parler de la situation dans les prisons depuis le début du covid. Voici un compte-rendu de nos échanges (une prise de note assez souple) au cours de cette visio-conférence.

Kévin : mais qui es tu ?

Je suis juriste au contrôleur général de privation de liberté, une administration indépendante, pas de lien avec les ministres.Champ de compétences : pénitentiaire, tribunaux, garde à vue, centre de détention administrative et salle d’attente, hôpitaux psy (soin contraint). Je m’occupe des saisines d’office et d’enquêtes. On a pas de spécialisation. Mais je fais bcp de droits des étrangers. C’est seulement le volet psy que je fais moins. Par ailleurs, je suis bénévole à solidarité sida 🙂

Comment fonctionne le CGLPL en ce moment ?

D’habitude toutes les semaines il y a des visites du CGLPL, mais ils refusent de se déplacer depuis début mars pour la sécurité sanitaires des personnes détenues. On continue à recevoir les saisines des proches et des détenus. On a en moyenne une quarantaine d’individus qui appellent par jour au sujet des prisons.

Les derniers chiffres (date du 7 avril) :

Taux d’occupation de 107% (il y a un mois on était à 119%). Cela veut pas dire grand chose car grosses disparités. Maison central (60-70% d’occupation). Mais difficile de savoir ce qu’il se passe en maison d’arrêt. 8000 personnes en moins c’est un chiffre manipulé : la moitié des personnes sont en fait “non entrées”. Les juridictions ont ralenti = moins de gens condamnés à des peines de prison.

Pour pouvoir tenir les règlements de sécurité : il faudrait 18 000 personnes en moins en prison ! Actuellement il y a 17 000 personnes en détention provisoire (il y a un mois : 20 000 personnes, donc petit progrès). Les avocats font beaucoup de demande de liberté : la ministre a pris une ordonnance pour que les détentions provisoires puissent être prolongées sans voir le juge. Cette prolongation est très critiquée par les magistrats eux mêmes. ⅓ des personnes en prison sont en détention provisoire ! Pb aussi : des personnes détenues qui n’ont pas de solution d’hébergement.

Il y a toujours des gens qui dorment sur des matelas au sol dans des cellules de 3 ou 4 personnes… Nouméa : 32 personnes sur des matelas dans des cellules de 4 personnes.

Peux-tu nous en dire plus sur les personnes contaminées / sur les sujets plus sanitaires ?

On est à 60 personnes détenues qui auraient attrapé le COVID
1 personne décédée (mort 2 semaines après son incarcération), 74 ans.
500 agents symptomatiques, 1 surveillant décédé. La famille va se retourner contre l’AP pour faute.

Ces chiffres nous paraissent sous estimés (pour le CGLPL). Pas de dépistage systématique et pas de process pour se signaler en cas de symptômes.

La procédure si un détenu a des symptômes : il doit le signaler aux surveillants pour ne pas être sorti ; unité sanitaire est appelé pour amener le thermomètre ; si pas de détresse respiratoire : la cellule est complètement fermée pendant 14 jours (tant pis pour les codétenus)…pendant 14 jours

L’historique des événements

  • Dès le 26 février : rappel massif sur les gestes barrières… mais quand on est 4 dans une cellule…
  • 18 mars : suspension des parloirs pour les proches (les parloirs avocats ont été maintenus). Les avocats rentrent souvent sans masque : gros débat. Fait on entrer le COVID par les avocats ?
  • Suspension aussi de toutes les interventions extérieures. Même le SPIP.
  • Les seuls autorisés : les surveillants (sans symptomes), rarement les SPIP (si nécessaire seulement, sinon par tel), les magistrats (mais ça fait par tel / visio), les médecins et le CGLPL. Sinon complètement fermé.
  • 28 mars : l’ensemble des agents ont bien reçu 2 masques par jour, 2 gants

8 prisons ont été mobilisées pour créer des masques pour l’AP.

Y a-t-il eu des tensions dans certains établissements ?

L’AP a connu 2 crises

Sécuritaires : émeutes, mutineries… refus de réintégrer jusqu’à la mutinerie – incendie dans toute une partie de la prison (à Userch dans le limousin) ⇒ 18 hospitalisations. Bombes lacrymo dans les couloirs, flashball sur des personnes sur les toits… Cela semble avoir concerné une 30taine d’établissement.

Sanitaires : aucune mesure de protection pour les détenus (masques ou produits)

Qu’est ce qui a changé dans votre activité ? 

Au CGLPL, on a demandé à ce que les fouilles soient arrêtées. Pas mal de contentieux devant le conseil d’Etat : tout a été refusé :

  • l’arrêt des promenades
  • la fin du régime ouvert
  • gel hydroalcoolique
  • tester toutes les personnes détenues ou des personnes avec des symptomes

Avec le CGLPL on a commencé à saisir la ministre de la justice, de l’intérieur et de la santé. On a demandé la fermeture de tous les CRA. Libération de 11 000 personnes détenues. Mise en place des gestes barrières. Information de toutes les notes prises sur les sujets de la détention. Demande de fermeture, refusé en conseil des ministres + par le Conseil d’Etat. Bordeaux, Perpignan ont été vidés. Encore du monde à Marseille. Aujourd’hui en CRA la majorité des personnes sont des sortants de prison ayant reçu une OQTF, les éloignements continuent avec en moyenne 3 vols par jour. Plus de réadmission Schengen (procédure Dublin, les personnes qui sont entrées dans un autre pays que celui où ils demandent l’asile). Autre question : de plus en plus de suicides en CRA. Vrais tensions psychologiques. Zones d’attentes (là où sont les personnes non admises sur le territoire français) sont elles fermées.

On récupère le courrier et les appels, on peut saisir les établissements concernés. On lance des vraies enquêtes d’habitude, là on fait juste du contrôle d’urgence (par ex : plus d’accès au traitement, etc.), sans demander les preuves. On saisit plus rapidement.

On a fait le choix d’appeler tous les établissements qu’on a vu les 2 dernières années, pour savoir ce qui a été fait. Par tel. Il y a 500 agents en moins en ce moment : c’est vraiment ingérable pour beaucoup de chefs d’établissements.
On est en contact avec les partenaires européens, pour s’inspirer aussi. On est les moins touchés donc c’est plus facile.

Ce qui nous préoccupe particulièrement :

  • La question des mesures mis en oeuvre,
  • le nb de personnes détenues,
  • les violences commises par les surveillants. Grosses tensions, les violences pourraient plus lourdes avec moins de possibilité de régulation.
  • On est très attentif à l’accès au droit, notamment comment fait-on pour faire sortir les personnes ?
  • Questions liées aux sevrages forcés : de cannabis notamment. On a des premières décompensations très très fortes. On est très attentif à ça. Vrai sujet de préoccupation aussi pour les chefs d’établissement.
  • Les établissements AICS (infraction à caractère sexuel) : prescription très longue, des gens condamnés à des âges généralement avancés, et sur des peines très longues. Comment on gère une épidémie dans ces établissements où les populations sont particulièrement vulnérables (car plus de 60 ans). Moyenne d’âge des personnes détenues : entre 29 et 31 ans, car on a fait entrer les très courtes peines (chiffres fin 2019). Sur les AICS : 59 ans.

Quelle est la situation dans les autres pays ?

Italie : 10zaine de morts du COVID, mais aussi de décès connexe (fautes d’avoir pu être extraite à temps ou par manque de médecin…). L’annonce des suppressions de parloirs a été donné au moment même des parloirs – les familles attendaient derrière. Du coup il y a eu beaucoup de mouvements, quelqu’un mort piétiné, quelqu’un mort avec flash ball… L’Italie a été condamnée par la cour européenne par un arrêt pilote (obligation pour l’Etat de prendre des mesures). Ce qui lui a demandé de revoir son fonctionnement, baisse importante de la population carcérale.

En Allemagne : test systématique auprès des détenus pour pouvoir isoler très rapidement. Même politique qu’en dehors. Pour le moment, cas faible de covid, et aucun décès

En Espagne : complètement débordé. Explosion de COVID en détention : en 3 ou 4 jours, tout le monde touché. Situation désespérée, manque de médecins en détention. Ils sont sur beaucoup de libération (à moins de 6 mois de prison), mais libèrent des personnes contaminées sans suivi.

En Angleterre : peu de chiffre, car prisons sont privées. Très différent d’un pays à l’autre. Au pays de galle, ça va. A londres, c’est ⅓ des détenus symptomatiques (car ils n’ont pas suspendu les activités)

En France :

  • UCSA (unité de soin) ⇒ Aucune US complètement à l’arrêt, la majorité fonctionne à 1 ou 2 versus 3 ou 4 d’habitudes. Plutôt infirmiers, pratiquement pas de médecin.
  • Crédits de tel : le même partout, alors que quand on est à Nouméa…pas les mêmes tarifs ! c’est comme si on appelait à l’étranger ! Les appels ne sont pas gratuits. 40 euros ponctuellement : c’est 11h d’appel en France sur un fixe…
  • Le pb des sorties… les gens sont à la rue (les centres d’hébergement soit fermés, soit ne prennent plus) pas de suivi par les SPIP : par ex, les CPIP n’ont pas d’ordinateurs portables…donc ne peuvent faire aucun suivi des personnes. Grosses difficultés. Des sorties sans aménagement de peine, sans info sur où aller pointer…
  • En outremer : super chaud. Pas de centre d’accueil adapté, pour les personnes avec aménagement. Donc soit sortie sans accompagnement.
  • Semi liberté : en réalité, les centres de semi sont pour la plupart fermés avec les gens dedans. Cellules beaucoup plus petites : 5-6m carrés, parfois à 2. Plus de craintes : perte de leur emploi. Echo des JAP : essayent au maximum de faire sortir les gens en CSL.
  • Difficulté de la sortie : pas de structures pour accueillir. 1 personne a eu une amende environ 25mn après être sortie de prison car pas d’attestation (!).

Est-ce qu’il y a pas un gros risque qu’il y ait pleins de gens à faire entrer en prison à la sortie du confinement ?

Oui, hélas… Notamment parce qu’une loi va entrer en vigueur à la fin du confinement : elle permet à des personnes d’être incarcérées même si elles ont été condamnés à des peines inférieur à 2 ans (avant elles pouvaient faire l’objet de peines alternatives).

Sur le milieu ouvert : la vraie difficulté du PSE (bracelet), c’est qu’il faut s’équiper. On manque de gens pour assurer la traçabilité effective, les magistrats demandent d’autres mesures, notamment pointer au commissariat. Plus le bracelet a un seul but : forcer à rester chez soi, en période de confinement c’est moins pertinent …

Combien de CGLPL ? Basés où ? A Paris. 1 CGLPL, 1 directrice juridique, 20 contrôleurs permanents + 50 avec une mission tous les 2 ou 3 mois.

Pour les soins : téléconsultation à part si c’est une urgence. Aucune preuve du respect du secret médical. Même difficulté que pour les audiences en visio. 5 personnes extraites de prison pour covid pour l’instant.

Quels sont les besoins qui vont ont été remontés par les détenus ?

Avoir des contacts. Avoir une voix au téléphone car solitude.

Débordés d’appels en ce moment au CGLPL, arrivent à prendre 50 personnes avec 2 en charge du standard.
OIP travaille comme elle peut. Croix Rouge assure une écoute des détenus. Arapej aussi.

Dépôts dans les tribunaux. Les personnes passent maintenant directement de la GAV à la comparution immédiate donc plus utilisés. 1 personne / geôle. Encore aujourd’hui des tribunaux avec 2 ou 3 personnes / geôles. Saisine en cours mais pas de réponse.

Saisine CGLPL :
contact@cglpl.fr
Contrôleure générale des lieux de privation de liberté
CS n° 70078
75921 Paris cedex 1

Comment préparer l’après ?

si l’état d’urgence dure 2 mois, toutes les mesures prises s’arrêtent 1 mois après. Les mesures administratives seraient rallongées de 2 mois. Par exemple : l’arrêt des parloirs. Préparer des interventions en apportant du contenu le plus ludiquement possible Déconfinement va être compliqué : plein de gens vont arrivés (en choc carcéral), de nouveaux en surpopulation.

Fin du mandat d’Adeline Hazan : 18 juillet. Pas de successeur pour l’instant.

Infos :

Contrôleure générale des lieux de privation de liberté
CS n° 70078
75921 Paris cedex 19